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Le changement climatique : s’y adapter dès aujourd’hui

, Article de K. Strassmann, Dr. phil. nat., graphiste et rédacteur scientifique indépendant

Un bâtiment que l’on construit aujourd’hui devra braver les effets des intempéries pendant des dizaines, voire des centaines d’années. Protection de l’ouvrage, choix des matériaux de construction, disposition sur le terrain : le changement climatique doit être pris en considération sur tous les plans. Mais quels sont les changements concrets en matière de dangers naturels, et à quel point les comprenons-nous à l’heure actuelle ?

De nombreux phénomènes météorologiques qui peuvent constituer un danger pour un bâtiment présentent un rayon géographique plutôt réduit ; ils se produisent par ailleurs sur une courte durée et plutôt rarement. Ces facteurs compliquent la modélisation physique de ces phénomènes et les études quantitatives à leur sujet. Par ailleurs, il est également problématique que les outils de recherche principaux, à savoir les modèles climatiques, présentent une résolution spatiale relativement grossière en comparaison avec l’échelle des événements concernés. Les scénarios climatiques CH2018 actuels, par exemple, se basent sur des modèles de simulation avec un maillage de 12 à 50 km, ce qui est trop grossier pour représenter de manière explicite des processus physiques pourtant essentiels, comme la convection atmosphérique (CH2018, Rapport technique ; Fischer et al., 2022). Le recours à des formules statistiques permet néanmoins de générer des approximations pour certains processus à l’intérieur de chacune des mailles (technique dite de « paramétrisation »). Avec de tels modèles, la simulation de phénomènes qui se déroulent à très petite échelle, tels que la grêle, les tempêtes, voire même les tornades, n’est cependant possible que de manière très limitée.

Défis pour les modèles climatiques

Les fortes précipitations également se concentrent souvent sur un périmètre restreint et constituent ainsi un défi pour les modèles climatiques. Malgré cela, on peut aujourd’hui déjà affirmer avec certitude qu’en raison du changement climatique, les précipitations fortes à extrêmes vont devenir nettement plus fréquentes et plus intenses. Cette tendance peut déjà être constatée sur la base des observations passées, et elle s’explique par ailleurs aisément sur le plan de la physique : selon la formule de Clausius-Clapeyron, l’air peut absorber 6 à 7 % d’humidité supplémentaire par degré Celsius additionnel. En conséquence, la quantité d’eau emmagasinée qui peut tomber sous forme de précipitations augmente également. Cette loi n’est certes valable que lorsque l’humidité relative de l’air reste plus ou moins constante, ce qui n’est pas toujours le cas. Toutefois, de nouvelles études basées sur des modèles à haute résolution permettant de simuler spécifiquement les cellules orageuses indiquent que la formule de Clausius-Clapeyron est appropriée pour pronostiquer les fortes précipitations futures (CH2018, Rapport technique). Ce constat vient corroborer les résultats déjà disponibles tels qu’ils sont présentés par exemple dans les scénarios climatiques CH2018.

Un calcul simple – mais avec un hic

À l’heure actuelle, les scénarios climatiques prévoient une augmentation significative des précipitations extrêmes en particulier. Il faut ainsi s’attendre à ce que l’intensité de la pluie pendant une journée de précipitations extrêmes avec une période de retour de 100 ans augmente de 5 à 10 % – et ce sous réserve que les objectifs de la Conférence de Paris de 2015 sur les changements climatiques soient atteints. La politique climatique étant bien loin d’atteindre ces objectifs à l’échelle internationale, un scénario « sans mesures de protection du climat » pourrait également se concrétiser. Dans ce cas-là, il faudrait tabler sur une augmentation de 20 % d’ici la fin de ce siècle. Des augmentations allant jusqu’à près de 50 % sont également observables dans la fourchette de dispersion issue des modèles de calculs (à noter que ces variations ne sont pas uniquement imputables à des différences climatiques, mais également à des fluctuations stochastiques). Par rapport à la situation observée pour le passé sur la base de données empiriques, la relation entre intensité et probabilité va donc évoluer de manière considérable : pour la station de Berne/Zollikofen, en cas d’une augmentation de 10 % des précipitations, de fortes précipitations jusqu’ici catégorisées comme événement avec une période de retour de 100 ans pourraient se produire tous les 60 ans – avec une augmentation de 20 % des précipitations, elles pourraient même survenir tous les 35 ans.

Pour servir de base pour la planification, ces évolutions doivent être converties en valeurs absolues, par exemple en les additionnant aux estimations existantes qui se basent sur les mesures de précipitations fournies par les stations météorologiques. Ce calcul en soi simple comporte toutefois d’importantes incertitudes, dont certaines sont à leur tour imputables de manière directe ou indirecte au changement climatique (voir la section « Évaluer l’impact du changement climatique sur les fortes pluies »). En raison du subtil décalage progressif de l’ensemble des paramètres météorologiques, le changement climatique remet en question aujourd’hui déjà nos connaissances empiriques relatives aux événements extrêmes. À l’avenir, les changements seront non seulement plus importants, mais également toujours plus incertains. Anticiper ces développements est une tâche extrêmement complexe, qui ne devrait pas être laissée uniquement à la charge des utilisateurs des informations climatiques. En effet, il est nécessaire de procéder à une adaptation, fondée sur les informations scientifiques, des données climatiques se rapportant à chacune des stations – soit l’élaboration de « Scénarios climatiques précipitations extrêmes » qui, comme la récente publication « Scénarios climatiques climat ambiant », sont directement applicables aux questions de planification concrètes.

Les mesures montrent clairement une augmentation des fortes précipitations par le passé : aucune des 173 stations de mesures n’a fait état d’une nette diminution (illustration : brochure CH2018).
Les mesures montrent clairement une augmentation des fortes précipitations par le passé : aucune des 173 stations de mesures n’a fait état d’une nette diminution (illustration : brochure CH2018).
Avec la hausse de l’altitude de l’isotherme du zéro degré en hiver, les conditions hydrologiques pouvant engendrer des crues évoluent également (illustration : brochure CH2018, ajout des noms de localités par Erich Fischer, ETHZ).
Avec la hausse de l’altitude de l’isotherme du zéro degré en hiver, les conditions hydrologiques pouvant engendrer des crues évoluent également (illustration : brochure CH2018, ajout des noms de localités par Erich Fischer, ETHZ).
En raison du changement climatique, les précipitations extrêmes rares, comme les précipitations journalières avec une période de retour de 100 ans, deviendront plus intenses pour toutes les saisons de l’année (illustration : Atlas web CH2018).
En raison du changement climatique, les précipitations extrêmes rares, comme les précipitations journalières avec une période de retour de 100 ans, deviendront plus intenses pour toutes les saisons de l’année (illustration : Atlas web CH2018).

Limites de la prévisibilité

Malgré les difficultés méthodiques dans leur application concrète, les scénarios climatiques restent un outil essentiel pour adapter la protection des bâtiments à l’évolution et à l’intensification des dangers naturels. Toutefois, les modèles climatiques ne tiennent compte que des processus qui se produisent au sein de l’atmosphère. Alors que cette approche suffit par exemple à évaluer le danger local de pluies intenses, la situation devient en revanche plus complexe dès lors que les chenaux et corridors d’écoulement ainsi que les bassins d’accumulation sont impliqués, comme c’est le cas en lien avec les événements survenant sur un rayon géographique plus large et sur une durée plus importante : d’autres changements liés au climat commencent alors à interagir. En hiver par exemple, la quantité de précipitations qui tombent sous forme de neige diminue en raison de l’importante élévation de la limite des chutes de neige, ce qui accroît le risque d’inondations dues à de fortes précipitations. Les débits de pointe peuvent alors être amplifiés lorsqu’après d’importantes chutes de neige, qui continueront à se produire, il fait soudain plus chaud et il pleut. Tout cela laisse penser qu’à l’avenir, le risque d’inondations sera également plus important pendant les mois d’hiver. De telles interactions entre différents événements pourraient également, pour d’autres saisons et dans d’autres constellations, mener à de nouvelles situations encore inconnues. Un hiver à avalanches après une saison de feux de forêt dévastateurs ? Des précipitations record sur des sols desséchés qui peinent à absorber l’eau ? Les multiples changements dans le milieu naturel et les interactions complexes entre les divers processus permettent la formulation de nombreux scénarios de ce genre.

La probabilité de tels développements est toutefois difficilement quantifiable. Aucune indication de probabilité n’est d’ailleurs attribuée aux changements décrits dans les scénarios climatiques CH2018 ; il s’agit là d’une des limites de l’optimisation de la protection du bâtiment au moyen d’outils de projection numériques. De même, une maximisation des mesures de protection constructives pour se parer contre tous les scénarios de menaces envisageables dans l’éventail des possibles n’est, elle non plus, pas une option concrètement réalisable – sans même parler de l’impossibilité de la financer.

En conséquence, il est pertinent d’adopter une approche à deux niveaux : d’une part, les changements en matière de dangers naturels qui sont probables devraient bien entendu être, dans la mesure du possible, pris en compte. Dans ce cadre, en raison des perspectives futures incertaines, il vaut particulièrement la peine d’exploiter au maximum les solutions qui offrent une protection supplémentaire moyennant un investissement minime (principe des « low-hanging fruits »). Par exemple, un seuil en haut de la rampe d’accès à un garage souterrain protège de manière permanente contre les entrées d’eau, une modification du terrain peut éloigner les eaux de ruissellement du bâtiment, ou une rénovation du toit ou de la façade peut être l’occasion d’opter pour des éléments de construction résistants à la grêle. Lorsqu’elles sont envisagées dès un stade précoce de la planification, ces mesures, et bien d’autres encore, permettent d’augmenter sensiblement la sécurité pour des coûts supplémentaires limités. D’autre part, les importantes incertitudes inhérentes à l’estimation des effets du changement climatique sur les dangers naturels impliquent qu’il faut également toujours tenir compte de la possibilité d’une surcharge des mesures de protection. Même dans les cas où les éléments naturels franchiraient toutes les barrières mises en place, la protection des vies et des biens devrait néanmoins rester assurée grâce à une préparation intelligente. En effet, par rapport au changement climatique, la règle d’or est sans aucun doute la suivante : il faut toujours s’attendre à de mauvaises surprises.

L’influence du changement climatique peut être illustrée sur la base de l’exemple des précipitations journalières avec une période de retour de 100 ans pour la station de Berne/Zollikofen. Deux estimations distinctes sont disponibles pour les valeurs des périodes de retour des précipitations extrêmes (analyses des valeurs extrêmes de MétéoSuisse). La première se base sur l’ensemble de la série de mesures des précipitations pour Berne/Zollikofen, qui remonte jusqu’à 1865 (période : 1865-2020). La deuxième estimation inclut quant à elle uniquement les valeurs à partir de 1961 et représente donc un segment plus actuel de l’évolution climatique (période : 1961-2020). Cette estimation présente, dans le cas de la station de Berne/Zollikofen, une valeur nettement plus élevée – et elle s’inscrit donc dans la tendance générale de l’augmentation des fortes précipitations en raison des changements climatiques.

Évolution de la période de retour des fortes précipitations en lien avec le réchauffement climatique

Valeur de retour des précipitations journalières avec une période de retour de 100 ans à la station Zollikofen par rapport au changement moyen de la température annuelle dans la région modèle de la Suisse romande selon les scénarios climatiques CH2018.

Le graphique montre comment, pour la station de Berne/Zollikofen, l’intensité des précipitations journalières avec une période de retour de 100 ans (c’est-à-dire la quantité de précipitations qui est enregistrée au cours d’une seule journée qui est dépassée en moyenne une fois tous les 100 ans) évolue en lien avec le changement moyen de la température annuelle qui se produira dans la région « Ouest de la Suisse » selon les scénarios climatiques CH2018. Les évolutions attendues jusqu’à la fin du siècle, avec et sans mesures de protection du climat, ont été ajoutées à l’estimation des valeurs extrêmes basée sur la série de mesures de 1961 à 2020, en admettant que cette série est représentative pour la période de référence des scénarios CH2018 (augmentation de la température annuelle moyenne : 0 °C). L’estimation des valeurs extrêmes basées sur la série de mesures de 1865 à 2020 est également indiquée (augmentation de la température annuelle moyenne : indéterminée). Les barres d’erreur représentent la plage d’incertitude de 68 % de l’analyse des données de mesure (plage dans laquelle se trouve la valeur réelle avec une probabilité de 68 %). Les surfaces colorées représentent les plages de dispersion des modèles climatiques dans lesquelles se trouve la valeur réelle avec une probabilité estimée de 2/3 (Fischer et al., 2022). Concernant la température, la plage d’incertitude a été centrée sur la moyenne entre les saisons, tandis que pour les précipitations, la plage d’incertitude a été déterminée en considérant la saison présentant le changement le plus important ainsi que celle présentant le changement le plus faible.

Pour anticiper le développement futur de cette évolution, il convient maintenant d’intégrer les données fournies par les scénarios climatiques CH2018. À cet effet, il est nécessaire de formuler quelques hypothèses, par exemple concernant la comparabilité des différentes méthodes et bases de données. Par exemple, les valeurs issues des simulations s’appliquent à des unités de surface qui mesurent entre 12 et 50 km (taille des mailles des modèles climatiques régionaux), alors que les mesures des précipitations sont toujours valables pour un point précis. Par ailleurs, les analyses des valeurs extrêmes ne prennent pas spécifiquement en compte le changement climatique, qui se caractérise quant à lui par une évolution rapide en comparaison avec les périodes de retour concernées. On peut ainsi se demander quel est le climat que les analyses de ces longues séries de mesures décrivent réellement. Pour la période de mesure plus courte (1961-2020), il s’agirait plus ou moins du climat de la fin du 20e siècle (année médiane : 1990), ce qui correspond à peu près à la période de référence des scénarios climatiques CH2018 (1981-2010). En conséquence, il est pertinent d’ajouter les évolutions issues des scénarios climatiques CH2018 aux valeurs estimées qui se basent sur les données de mesures. Le graphique ci-dessous montre le résultat pour la fin du siècle actuel (2070-2099) sur la base des scénarios avec et sans mesures de protection du climat. Compte tenu des marges d’incertitude, ces résultats suivent plus ou moins le lien entre la température et la capacité de l’air à absorber de l’eau (formule de Clausius-Clapeyron).

L’augmentation attendue de l’intensité des précipitations ne survenant qu’une fois tous les 100 ans oscille – pour le scénario sans mesures de protection du climat également – dans la plage d’incertitude de l’estimation des valeurs extrêmes basée sur les données de mesures. Ce constat ne signifie toutefois pas que le changement climatique représente un changement insignifiant pour l’évolution des risques : en effet, non seulement la plage d’incertitude de l’analyse des valeurs extrêmes se décale également vers le haut, mais en plus, les scénarios climatiques comportent eux-mêmes une importante incertitude, qui inclut la possibilité d’une augmentation nettement plus importante des précipitations extrêmes.

En outre, les méthodes et considérations utilisées pour déterminer la plage d’incertitude de l’analyse des valeurs extrêmes jouent également un rôle. L’omission des données de mesures historiques datant d’avant 1961 contribue en effet fortement à agrandir cette plage d’incertitude : étant donné la probabilité quand même relativement élevée (55 %) que l’événement centennal que l’on cherche à identifier ne se soit en fait pas produit au cours des 60 années de mesures prises en compte, il est nécessaire de procéder à une extrapolation au-delà de la plage de données. Une comparaison avec l’analyse de toutes les données mesurées depuis 1865 suggère que les informations contenues dans les données plus anciennes pourraient potentiellement réduire considérablement l’incertitude de l’estimation.

Ces considérations montrent que les évolutions engendrées par le changement climatique en matière de précipitations extrêmes pourraient être d’une ampleur similaire ou supérieure à la plage d’incertitude des estimations des valeurs extrêmes basées sur les mesures. Il reste toutefois tout sauf simple d’interpréter et de prendre en compte ces incertitudes.

Scénarios climatiques suisses CH2018

CH2018, Rapport technique, 2018. CH2018 – Climate Scenarios for Switzerland. Technical Report, National Centre for Climate Services, Zurich, 271 pp. ISBN: 978-3-9525031-4-0.

A.M. Fischer, K.M. Strassmann, M. Croci-Maspoli, A.M. Hama, R. Knutti, S. Kotlarski, C. Schär, C. Schnadt Poberaj, N. Ban, M. Bavay, U. Beyerle, D.N. Bresch, S. Brönnimann, P. Burlando, A. Casanueva, S. Fatichi, I. Feigenwinter, E.M. Fischer, M. Hirschi, M.A. Liniger, C. Marty, I. Medhaug, N. Peleg, M. Pickl, C.C. Raible, J. Rajczak, O. Rössler, S.C. Scherrer, C. Schwierz, S.I. Seneviratne, M. Skelton, S.L. Sørland, C. Spirig, F. Tschurr, J. Zeder, E.M. Zubler, Climate Scenarios for Switzerland CH2018 – Approach and Implications, Climate Services, Volume 26, 2022, Doi:10.1016/j.cliser.2022.100288.

Scénarios climatiques climat ambiant

Brochure CH2018 : NCCS (éd.) 2018 : CH2018 - Scénarios climatiques pour la Suisse. National Centre for Climate Services, Zurich. 24 pages. Numéro ISBN : 978-3-9525031-1-9

Atlas web CH2018 : https://www.nccs.admin.ch/nccs/fr/home/bibliotheque-de-donnees-et-de-medias/donnees/atlas-web-ch2018.html

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